Ritournelle et fatrasie
A propos d'opera mundi
1. Pendant longtemps, je n’aimais pas faire la queue dans les supermarchés. Ce n’est qu’assez tard que j’en ai réalisé le charme. Moment de non-mouvement (suspens) ou du moins de mouvement automatique, téléguidé. (Je suis toujours nul au coup de la nouvelle caisse qui ouvre : tout le monde se précipite, moi je reste planté là.) Moment de relaxation, d’observation de son prochain (ou plutôt du suivant, ou mieux du suivi et de sa nuque qui ne manque jamais d’être étonnante) et de son rapport aux choses, aux marchandises. Moment de lenteur forcée, dont il faut savoir apprécier toute la plénitude et la beauté.2. Pour l’avant-garde des années 20, filmer le monde, c’était filmer des machines (Vertov, Richter, Ruttman). Même si le monde idéal qu’ils composaient n’existait pas vraiment. Il était à venir : la foi dans les machines était intacte. Mais les machines ont mal tourné. Et l’avant-garde ?
3. Ni thème, ni système. Capter des moments de réél, selon ses désirs, sans préjuger de la cohérence de l’ensemble. Se promener. Faire confiance aux images - et aux sons.
4. Ça fonctionne partout sans arrêt, tantôt discontinu. Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. Quelle erreur d’avoir dit le ça. Partout ce sont des machines, pas du tout métaphoriquement : des machines de machines, avec leurs couplages, leur connexion. C’est ainsi qu’on est tous bricoleurs ; chacun ses petites machines. Soyez sûrs que ça marche. (…) Quelque chose se produit : des effets de machines, et non des métaphores. (Gilles et Félix, philosophes)
5. Lentement, en confrontant les premiers éléments, mettre à jour ce que ces désirs supposaient. Écarter certains plans, qui ne se rapportaient pas à l’ensemble. En aimer d’autres pour ce qu’ils ont de métaphysique. En tourner de nouveaux, pour compléter l’agencement, en essayant pourtant de ne pas le réduire à un «sujet». Reconsidérer ceux qu’on avait d’abord laissé de côté. Continuer.
6. Souvenir : le travail, c’est une force multipliée par un mouvement.
7. Les trois premières secondes d’un plan, et le sens saute aux yeux.
Pour ceux que seule l’information intéresse, trois secondes suffisent à échafauder un discours en trompe-l’œil.8. Le monde réellement renversé se trouve au fond de nos yeux.
Chacun de nous est le corps social.9. Ce serait un film d’action. L’action, ce serait contempler. S’assoir et consentir à regarder ce qu’un autre a vu. L’opérateur des lumières est là, derrière, qui montre des images «qui ont été».
10. Corpus et socius sont dans un bateau. Corpus tombe à l’eau.
Que reste-t-il ?