Le potentiel subversif de ce cinéma [le documentaire] explique en partie qu'il soit pour l'essentiel relégué à un circuit de diffusion confidentiel dont Lussas, petit village perdu au milieu des collines ardéchoises, est l'un des piliers. Pour le festivalier, cette quatorzième édition était l'occasion d'un grand voyage dans l'espace et dans le temps, de détours par l'histoire du siècle passé et du cinéma, d'une échappée hors des modes de représentation dominants.

Ciné-voyage dont l'emblème pourrait être celui de Nicolas Rey, parti à la recherche de formes englouties avec le XXe siècle, sur la route du goulag et des ciné-trains, de Kiev à Magadan en Sibérie. Dans Les Soviets plus l'électricité, la parole de l'auteur, touriste malgré lui qui sait vouée à l'échec sa quête de l'autre, glisse sur les couleurs passées d'images sensuelles, au grain étonnamment épais. Captées au ralenti dans le quotidien de la Russie postsoviétique, sur cartouches super-8 périmées, elles défilent comme en songe ; des formes fantomatiques, lointaines résonances de celles d'Eisenstein, Vertov, Tarkovski, se meuvent par sauts silencieux. Progressivement, un système ténu de correspondances poétiques, presque musicales, s'établit entre ces images étrangères, le journal parlé du voyageur, les textes des chansons de Vissotski, la parole de Lénine. Un décalage permanent entre image et texte, qu'accentue une ponctuation de noirs sonores et de photogrammes muets, rappelle toutefois le spectateur à l'ordre : le temps de la croyance est révolu.

Isabelle Regnier
Le Monde du 27 août 2002


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